« A croire qu’il me connaît mieux que je ne me moi-même. Se pourrait-il qu’il ressente quelque chose pour moi, malgré tout ce que je ne suis pas ? Peut-être… Je le regarde d’un air suspicieux.
– T’as pas les yeux dans ta poche, toi.
– J’aime bien observer les gens, répond-il.
– Toi non plus, tu ne sais pas mentir.
Il pose une main sur le rocher, à côté de la mienne. Je le regarde. Il a de longs doigts fins, faits pour des gestes rapides et adroits. Pas des mains d’Audacieux, plutôt épaisses et solides, habituées à casser des choses.
– D’accord.
Il approche son visage du mien et son regard s’attarde sur mon menton, sur ma bouche, sur mon nez.
– C’est parce que tu me plais.
Il le dit simplement, ouvertement, et ses yeux papillonnent jusqu’aux miens.
– Et ne m’appelle pas Quatre. Ça fait du bien d’entendre mon nom.
Tout à trac, il s’est dévoilé, et je ne sais pas comment réagir. Je commence à avoir chaud.
Tout ce que je trouve à dire, c’est :
– Mais… Tobias… tu es plus vieux que moi…
Il me sourit.
– C’est vrai que ce fossé de deux ans est totalement insurmontable.
– Je n’essaie pas de me dévaloriser, rectifié-je. C’est juste sue j’ai du mal à comprendre. Je suis plus jeune que toi, je ne suis pas jolie, je…
Il rit, d’un rire grave qui semble venir de très loin et pose sa bouche sur ma tempe.
– Quoi, soyons honnêtes, insisté-je, le souffle court. Je ne suis pas moche, mais on peut pas dire que je sois jolie.
Il secoue la tête.
Admettons. Tu n’es pas jolie. Et alors ?
Il m’embrasse sur la joue.
– Tu le plais comme tu es. Tu es super intelligente. Tu as du cran. Et même maintenant que tu sais pour Marcus…
Sa voix s’adoucit.
– … tu ne me regardes pas comme un chien battu.
– Parce que tu n’en es pas un.
Il me fixe en silence. Puis il me touche le visage, se penche vers moi et sa bouche effleure mes lèvres. La rivière tonne et une gerbe d’écume me mouille les chevilles. Il sourit jusqu’aux oreilles, et presse sa bouche sur la mienne.
Je suis tendue, ne sachant pas trop comment faire. Du coup quand il s’écarte, je suis sûre que je m’y suis mal prise. Mais tenant mon visage fermement entre ses mains, il m’embrasse de nouveau, avec plus d’assurance. Je passe un bras dans son dos et ma main remonte le long de sa nuque, jusqu’à ses cheveux.
Pendant quelques minutes, on s’embrasse, tout en bas du gouffre, cernés par le grondement de l’eau. Et quand on se relève, main dans la main, je songe que si on avait tous les deux fait un autre choix, on aurait peut-être vécu la même chose dans un environnement plus paisible, vêtus de gris et non de noir. »